Un sabre du pays des samouraïs ravive en France la flamme de la chevalerie

L’histoire commence en France, en Nouvelle-Aquitaine, dans le département du Lot-et-Garonne où vit Michel LAVIGNE, un amateur d’histoire et de culture japonaise.

Dans le catalogue « Militaria », édité pour la vente aux enchères du samedi 30 avril 2022 prévue à l’hôtel des ventes Giraudeau de Tours, Michel LAVIGNE découvre un sabre de samouraï Shin-Guntô 新軍刀 ayant appartenu à un officier de l’armée de terre japonaise de la seconde guerre mondiale.

Le sabre, présenté comme arme de reddition sous le numéro de lot 316, est assorti d’une plaquette en bois d’origine sur laquelle l’officier avait lui même calligraphié, en caractères japonais, son nom et son adresse.

Le catalogue précise qu’à la fin de la guerre en 1945 au Japon, lors de cérémonies de reddition, toutes les armes blanches étaient remises aux Américains avec le nom et l’adresse du propriétaire, « en vue d’une future potentielle restitution qui n’aura jamais lieu ».

Extrait du catalogue « Militaria »

D’abord intrigué par la calligraphie joliment exécutée, Michel LAVIGNE décide d’entreprendre des recherches sur l’origine du sabre. Il apprend ainsi que le nom de l’officier indiqué sur la plaquette est « UTSUNOMIYA Masanori » 宇都宮政徳 et que l’adresse calligraphiée signifie « Préfecture de Ehime, District de Higashiuwa, Village de Tanosuji, Ô-aza Jôtei-Ji » 愛媛県東宇和郡 田之筋村大字常定寺.

Calligraphie sur la plaquette en bois du sabre

Ces premiers renseignements obtenus l’incitent à approfondir les investigations. Il veut retrouver la famille de Masanori au Japon. Une chaîne de solidarité s’établit entre les deux pays et le contact finit par s’établir avec Junko 潤子, la fille de l’officier Masanori UTSUNOMIYA. Michel LAVIGNE apprend alors que ce dernier est décédé il y a 20 ans mais que sa veuve Yoshiko 淑子, âgée de 98 ans, est bien vivante.

S’ensuivent quelques échanges avec les membres de la famille japonaise qui lui envoient des photos de Masanori UTSUNOMIYA et de son épouse. Michel LAVIGNE finit par en être convaincu : ce sabre doit retourner au Japon au sein de sa famille d’origine.

Aussitôt, le contact est pris avec le propriétaire actuel du sabre par l’intermédiaire du commissaire priseur de la vente aux enchères, pour tenter un retrait du lot de la vente et une acquisition au prix de réserve. Mais le propriétaire n’en démord pas : le sabre, estimé entre 800 et 1200 euros, sera mis aux enchères…

Emporté par son élan, Michel LAVIGNE prend sans hésiter la décision de participer aux enchères pour acquérir le sabre. Il porte sur les épaules l’attente d’un trop grand nombre de personnes qui l’ont aidé entre la France et le Japon. Et surtout l’espoir de la fille et de l’épouse de Masanori UTSUNOMIYA, Yoshiko qui, à 98 ans, lui a promis de rester en vie jusqu’au retour du sabre de son époux. Un retour que nul dans la famille japonaise n’aurait pu imaginer, au bout de 77 longues années.

Il ne reste donc plus à Michel LAVIGNE qu’à parcourir les quelques 500 km qui le séparent de l’hôtel Giraudeau à Tours, la participation par internet étant jugée trop aléatoire en cas de panne…

Arrivé sur place, il pénètre dans la salle des ventes, le cœur serré en pensant au montant que pourraient atteindre les enchères et quelque peu stressé également en pensant aux espoirs qu’il a suscités autour de lui et surtout chez la famille UTSUNOMIYA.

Après tout ce chemin parcouru, il ne peut les décevoir…

Les enchères commencent, longues, sans fin… Le dernier mot du commissaire priseur résonne dans la salle : ADJUGÉ !… La vente est conclue… Le bordereau d’achat de la salle des ventes indique le prix à payer, taxes et frais divers inclus : 5948,80 €.

Michel LAVIGNE repart avec le sabre sous le bras, fier et heureux…

Michel LAVIGNE et le sabre de samouraï Shin-Guntô 新軍刀

De retour dans son département, il lance une collecte sur internet pour tenter de couvrir autant que faire se peut les frais conséquents occasionnées par sa démarche. En apprenant l’histoire, le président de la salle de ventes aux enchères de l’Hôtel Drouot à Paris annonce à Michel LAVIGNE qu’ils ont décidé « de contribuer à cette opération en prenant en charge une partie significative du montant des enchères »

Le retour du sabre au Japon, au bout de 77 ans, ne se fera pas sans difficultés. S’agissant d’une arme, des démarches administratives particulières s’imposent pour entrer sans encombre dans l’archipel. La chaîne de solidarité se reforme entre la France et le Japon. La presse et la télévision nippones relatent l’histoire. Le temps presse : il garde toujours à l’esprit la promesse de la veuve de l’officier, âgée de 98 ans, de rester en vie jusqu’au retour du sabre.

Après une tentative de départ avortée, Michel LAVIGNE finit par s’envoler pour le Japon avec sa précieuse mallette. Les restrictions dues au coronavirus ont été assouplies et il est attendu à l’aéroport de Matsuyama 松山, où il arrive fatigué mais heureux d’être à bon port.

Michel LAVIGNE à l’aéroport de Matsuyama 松山

Interrogé par la presse japonaise, Michel LAVIGNE explique qu’il avait ressenti la volonté d’un soldat dans la force des caractères calligraphiés. « En apprenant l’histoire de la réquisition des sabres, j’en suis venu à penser que ce n’était pas bien de posséder un sabre avec le nom d’une autre personne. Je pense que ces soldats ont écrit leur nom et leur adresse parce qu’on leur avait promis que le sabre leur serait rendu un jour. J’ai pensé que mon rôle était d’accomplir cette mission. »

« C’est un peu triste de me séparer du sabre. Mais, c’est encore plus triste d’être séparé de ma famille. Je veux le restituer le plus tôt possible. »

Au Japon, on estime que le nombre de sabres réquisitionnés dans le cadre du désarmement du pays se chiffrerait à plusieurs centaines de milliers. On pense que la plupart ont été jetés ou revendus à l’étranger et que seuls quelques-uns ont été rendus à leurs propriétaires. En 1995, le gouvernement japonais a promulgué une loi demandant aux États-Unis et à d’autres pays de les restituer mais, même maintenant, plus de 77 ans après la fin de la guerre, beaucoup d’entre eux restent non identifiés.

Sabres réquisitionnés après la guerre

C’est donc avec grand intérêt que Michel LAVIGNE est attendu au pays du Soleil Levant.

Il prend la direction de la ville d’Uwajima 宇和島, où réside la famille de l’officier Masanori UTSUNOMIYA. et se rend dans un établissement pour personnes âgées. Là, se trouve la personne qu’il est venu rencontrer.

Les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle sont également au rendez-vous, en grand nombre.

La rencontre entre Yoshiko 淑子, la veuve de l’officier japonais, et le français est pleine d’émotion. Il lui tend la mallette qui contient le sabre. Elle effleure le sabre de sa main. Les larmes lui viennent aux yeux : «C’était une longue et difficile attente. Je pense à quel point cela aurait été bien si mon mari était en vie et recevait ce sabre. Je vous suis vraiment reconnaissante. ».

Michel LAVIGNE, les yeux humides, est aussi ému qu’elle : « Très forte émotion. Les mots me manquent… Je suis très heureux… »

Michel LAVIGNE et Yoshiko 淑子, la veuve de l’officier japonais, Masanori UTSUNOMIYA

S’ensuit une visite en famille au cimetière d’Uwajima où repose l’officier Masanori UTSUNOMIYA. Une prière est effectuée et Michel LAVIGNE dépose le précieux sabre qu’il a ramené de France au pied du monument funéraire, en offrande au défunt Masanori UTSUNOMIYA.

Le sabre déposé au pied de la pierre tombale de l’officier Masanori UTSUNOMIYA

Michel LAVIGNE apprend alors que, le 4 décembre 2022, jour de son départ pour le Japon, était l’anniversaire de Masanori UTSUNOMIYA.

Paroles de Junko, la fille de Masanori UTSUNOMIYA :

Junko 潤子, la fille de l’officier Masanori UTSUNOMIYA

« Je pense que l’attention de Michel a été attirée par une convergence de ses pensées avec celles de mon père. Leurs pensées se sont connectées d’une manière ou d’une autre. Je pense que le sabre représente la cristallisation des pensées de mon père. C’est la cristallisation des pensées de ceux qui ont vécu la guerre. Je vais mettre le sabre en lieu sûr et le contemplerai parfois, le temps d’une conversation avec mon père. »

Paroles de Yoshiko, l’épouse de Masanori UTSUNOMIYA : 

Yoshiko 淑子, la veuve de l’officier Masanori UTSUNOMIYA

« J’ai traversé beaucoup d’épreuves pendant la guerre, mais je pense que la raison pour laquelle j’ai vécu si longtemps était parce que j’avais des choses à faire. L’une de ces choses était peut-être de recevoir ce sabre. »

Paroles de Michel LAVIGNE :

Michel LAVIGNE

« C’est un sentiment étrange. Mais j’ai l’impression que je les connaissais déjà. Ce sabre est peut-être une arme de guerre mais je pense qu’elle est revenue comme un symbole de paix. Sans ce sabre, nous ne nous serions jamais rencontrés. Je n’arrive toujours pas à y croire, mais je suis tellement content d’avoir pu le leur rendre. »

Le sabre est aujourd’hui soigneusement entreposé chez la famille UTSUNOMIYA, les formalités requises pour sa possession ayant été accomplies au poste de police local.

Par cette convergence des esprits, un sabre du pays des samouraïs aura ravivé en France la flamme de la chevalerie qui sommeillait quelque part en Lot-et-Garonne.

Chaîne japonaise 日テレ NEWS : le retour du sabre de Masanori UTSUNOMIYA, 77 ans après, chez son épouse de 98 ans

Sources : NHK, 日テレNEWS, Gazette Drouot, Le Petit Bleu, Catalogue Militaria

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