Deux Nobel japonais pour un monde en transition : immunité, matériaux et esprit de recherche

En 2025, le Japon a inscrit une double signature dans l’histoire des sciences : Shimon Sakaguchi 坂口志文, 74 ans, pionnier de l’immunologie, a reçu le Nobel de physiologie/médecine, tandis que Susumu Kitagawa 北川進, 74 ans, maître de la chimie des matériaux, s’est vu attribuer le Nobel de chimie. Deux prix, deux domaines radicalement différents dans un même souffle : celui d’une science qui conjugue patience, précision et vision à long terme, en apportant des solutions à des défis qui touchent aussi bien nos corps que notre planète.

Ces récompenses s’inscrivent dans des dynamiques scientifiques internationales, fondées sur des travaux menés sur plusieurs décennies, au sein d’équipes et d’institutions multiples.


Shimon Sakaguchi : percer les secrets de la tolérance immunitaire

Le prix Nobel de physiologie ou médecine 2025 a été décerné à :
• Shimon Sakaguchi (74 ans), Université d’Ôsaka, Japon
Mary E. Brunkow, biologiste moléculaire, États-Unis
Fred Ramsdell, immunologiste, États-Unis

pour leurs découvertes concernant la tolérance immunitaire périphérique.

Les travaux de Sakaguchi, initiés dans les années 1990, ont mis en évidence l’existence et le rôle de cellules immunitaires dont on ignorait presque tout : les lymphocytes T régulateurs, ou Tregs, une population cellulaire essentielle au maintien de l’équilibre du système immunitaire en l’empêchant de s’attaquer à nos propres tissus. Cette découverte a profondément modifié la compréhension des maladies auto-immunes et ouvert de nouvelles perspectives dans des domaines tels que la transplantation d’organes ou l’immunothérapie.
Les contributions de Brunkow et Ramsdell ont permis d’en préciser les bases génétiques et fonctionnelles, notamment autour du facteur de transcription FOXP3. Le prix Nobel souligne ainsi une avancée collective, construite progressivement, et validée par des décennies de recherches complémentaires.

La reconnaissance de Sakaguchi intervient après un long parcours académique, marqué par une recherche centrée sur des questions fondamentales, parfois éloignées des applications immédiates. Elle illustre le rôle déterminant de la biologie fondamentale dans les progrès médicaux contemporains.

The 2025 medicine laureates : Fred Ramsdell, Mary E. Brunkow and Shimon Sakaguchi at the Nobel Prize Museum, 6 December 2025. 


Susumu Kitagawa et l’émergence des matériaux poreux

Le prix Nobel de chimie 2025 a été décerné à :
• Susumu Kitagawa (74 ans), professeur émérite à l’Université de Kyoto, Japon
• Richard Robson, Université de Melbourne, Australie
• Omar M. Yaghi, Université de Californie à Berkeley, États-Unis

pour le développement de structures métalliques–organiques, MOFs.

Ces matériaux cristallins, constitués de réseaux d’ions métalliques et de molécules organiques, se caractérisent par une porosité exceptionnelle. Dès les années 1990, Kitagawa a contribué à démontrer qu’il était possible de concevoir des architectures moléculaires ordonnées, modulables et stables, ouvrant la voie à un nouveau champ de la chimie des matériaux.
Les MOFs sont aujourd’hui étudiés pour des applications potentielles dans le stockage des gaz, la capture du dioxyde de carbone, la purification de l’eau, la catalyse ou encore le stockage de l’énergie. Si nombre de ces applications restent à l’état de recherche ou de démonstration, le comité Nobel a reconnu l’importance conceptuelle de ces travaux, qui ont profondément renouvelé la manière de penser l’organisation de la matière.

Comme pour le Nobel de médecine, la distinction intervient tardivement dans la carrière de Kitagawa, soulignant la nature cumulative et progressive de cette avancée scientifique.

The 2025 chemistry laureates : Richard Robson, Omar M. Yaghi and Susumu Kitagawa, at the Nobel Prize Museum, 6 December 2025. 


Deux prix, une même philosophie de recherche

Les Nobel 2025 attribués à des chercheurs japonais témoignent de parcours individuels solides, inscrits dans des collaborations internationales, et soutenus par des institutions académiques exigeantes.

En médecine comme en chimie, les découvertes récompensées ont mis des décennies à s’imposer. Elles rappellent que certaines avancées majeures — qu’il s’agisse de comprendre les mécanismes de régulation du système immunitaire ou d’organiser la matière à l’échelle moléculaire — exigent du temps, de la persévérance et une certaine retenue face aux promesses immédiates.

À ce titre, les Nobel 2025 offrent moins un récit spectaculaire qu’un éclairage précieux sur la manière dont la science progresse, souvent loin des projecteurs, avant d’être reconnue à l’échelle mondiale.

Cérémonie de remise des prix Nobel 2025, au Musée du Prix Nobel de Stockholm, en Suède, le 6 décembre 2025