Ancienne capitale du Japon de 710 à 784, la ville de Nara, de la préfecture du même nom, est située dans la région du Kansai, à une trentaine de kilomètres d’Ôsaka et une quarantaine de kilomètres de Kyoto.
Son parc, Nara kôen 奈良公園, situé dans le nord de la péninsule de Kii 紀伊半島, est d’une superficie de 660 hectares avec les emprises des temples Tôdai-ji 東大寺 et Kôfuku-ji 興福寺 et du sanctuaire Kasuga Taisha 春日大社, trois monuments inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Plus de 1 200 cerfs sika sauvages, protégés par leur statut de « trésor naturel national », déambulent en toute liberté dans ce parc, en parfaite harmonie avec les humains.
Dans le parc du sanctuaire shinto Kasuga Taisha 春日大社 (sanctuaire tutélaire de la famille Fujiwara), ils sont considérés comme divins et sacrés et sont protégés depuis plus de 1 000 ans, depuis l’apparition de Takemikazuchi-no-mikoto, divinité de la mythologie japonaise arrivant sur le mont Mikasa en chevauchant un cerf blanc.
Le cerf sika japonais de Nara, messager des dieux
Animal vénéré, mentionné dans de nombreux mythes japonais et dans la littérature ancienne, le cerf sika coexiste avec l’homme depuis des siècles.
Comme partout au monde, cependant, la faune d’une région est fortement façonnée, au fil des générations, par les facteurs environnementaux et l’activité humaine qui entraînent des fluctuations de leur nombre. L’urbanisation et la chasse, notamment, sont connues pour réduire les populations d’animaux sauvages.
A l’inverse, certaines pratiques culturelles ou religieuses ont, à l’occasion, préservé les espèces animales locales.
Ainsi, les forêts autour des sanctuaires religieux du Japon ont historiquement interdit la chasse et offert, en conséquence, un refuge à certaines populations d’animaux.
Selon des études antérieures, le parc de Nara est un sanctuaire pour les cerfs depuis l’Antiquité. La chasse y étant strictement interdite, ces espaces religieux ont fonctionné comme des aires protégées pour la biodiversité.
Une étude génétique des populations de cerfs de la péninsule de Kii
Une équipe de chercheurs de l’Université de Fukushima s’est alors demandé quelles pouvaient être, sur le plan génétique, les conséquences de cette protection de plus d’un millénaire des cerfs sika sacrés du parc de Nara, par rapport aux autres populations de cerfs sika de la région.
Ils ont ainsi entrepris d’examiner de plus près la structure génétique et l’histoire du cerf sika dans la péninsule de Kii.
L’étude, rédigée par le professeur agrégé Shingo Kaneko, avec les co-auteurs, le Dr Toshihito Takagi et l’ancien professeur de l’Université d’éducation de Nara, Harumi Torii, a été publiée dans le « Journal of Mammalogy », le 31 janvier 2023.
Le projet est ainsi présenté par le Dr Takagi : « La légende veut que les cerfs sika du parc de Nara ont longtemps été strictement protégés en tant que messagers des dieux. Aujourd’hui, ces cerfs sont l’une des attractions touristiques les plus populaires au Japon. Cependant, il y a eu peu de recherches génétiques sur l’origine de ces cerfs. Nous avons donc effectué une analyse génétique des cerfs sika dans le parc de Nara et ses environs pour mieux comprendre leur origine ».
L’équipe a collecté 294 échantillons de muscle et de sang de cerfs sika sur 30 sites de la péninsule de Kii entre les années 2000 et 2016, et les a classés en huit populations couvrant les régions occidentale, centrale et orientale de Kii. L’ADN génomique a été extrait et analysé pour deux entités génétiques : les séquences répétées courtes (SSR), qui sont héritées des deux parents et ont tendance à changer fréquemment au cours de l’évolution, et l’ADN mitochondrial (ADNmt), qui n’est transmis que de la mère à la progéniture.
La population de cerfs a d’abord été criblée pour des ensembles de gènes dans l’ADNmt qui ont été hérités ensemble, également connus sous le nom d’haplotype. L’équipe a trouvé 18 haplotypes différents mais avec une faible diversité entre les populations.
À l’aide de ces informations, ils ont identifié trois groupes génétiques distincts, dont un seul avait un haplotype unique (S4), indiquant un flux très restreint de gènes à travers sa lignée maternelle. Fait intéressant, ce groupe préservé, à l’identité génétique unique, comprenait les cerfs autour du sanctuaire Kasuga Taisha. « Cela est possible car les cerfs sika femelles ont tendance à moins migrer et préfèrent rester dans leur propre habitat natal », explique le Dr Takagi.
Alors, quand ces cerfs ont-ils commencé à s’écarter de leurs ancêtres ? Selon les auteurs de l’étude, la population de cerfs du parc de Nara s’est séparée de ses ancêtres il y a plus de 1 400 ans, à peu près au moment exact où le sanctuaire Kasuga Taisha a été créé. Les groupes de l’est et de l’ouest, constituant la population actuelle de la péninsule de Kii, se sont plus récemment éloignés de leurs ancêtres.
Lorsqu’on leur demande exactement ce qui a causé cet éloignement et comment ce pool génétique distinct a pu être maintenu, le Dr Takagi déclare : « En général, les populations japonaises de cerfs sika ont été affectées négativement par la fragmentation de l’habitat et l’extinction régionale en raison des activités humaines. Nos recherches montrent que la protection religieuse a aidé de rares populations ancestrales de cerfs sika à survivre dans le parc de Nara pendant plus de 1 000 ans, tandis que les populations environnantes ont disparu en raison de la chasse et de l’urbanisation. »
Grâce aux efforts de conservation du sanctuaire, le nombre de cerfs sika dans le parc de Nara a augmenté. Dans le même temps, la population de cerfs a augmenté dans les environs et les dommages causés à l’agriculture et aux exploitations forestières se sont aggravés. Pour la première fois depuis des siècles, les cerfs sika de Nara sont en contact avec les cerfs des zones environnantes, menaçant leur identité génétique préservée. Pour continuer à préserver cette identité génétique unique, les chercheurs pensent qu’il convient de reconsidérer attentivement le plan de gestion en y incluant les zones environnantes.
Pour Hiromasa Kazanin, prêtre en chef du sanctuaire Kasuga Taisha, « c‘est le seul endroit au monde où les humains coexistent avec plus de 1 000 cerfs. Je suis très surpris de découvrir que le cerf sika de Nara, qui a été soigneusement protégé en tant que cerf des dieux pendant plus de 1 000 ans, se révèle être scientifiquement différent et génétiquement unique. A une époque où l’on parle de cohabitation entre les humains, les animaux et la nature, je crois que la terre de Nara représente une forme de vision de l’avenir ».
Pour Shiro Tachizawa, professeur adjoint à la Graduate School of Letters de l’Université d’Hokkaido, qui étudie la gestion écologique des cerfs depuis de nombreuses années « Les cerfs ont la particularité de passer leurs nuits dans la forêt et de sortir dans les prairies le matin. On peut dire que la zone plate du parc de Nara est un endroit confortable où vivre depuis plus de 1 000 ans ». Il souligne également que les facteurs environnementaux contribuaient à la survie des cerfs de Nara, en ajoutant que « l’environnement actuel, surpeuplé de monde, n’était pas forcément favorable aux cerfs ».
Yasunori Okawa, président de la Nara Deer Protection Association assure que l’association qu’il préside continuera ses actions en faveur d’une coexistence unique au monde des cerfs et des humains à Nara.
Pour les experts, les résultats de cette étude peuvent constituer une très bonne base de réflexion sur la manière dont nous devrions interagir dans notre environnement pour une préservation de la faune et de la flore pendant les 1 000 prochaines années.
Sources : Journal of Mammalogy , NHK , Fukushima-university , Yamagata-university
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