De Hiraizumi au pays de l’or de Cipango

Il fut un temps où le Japon était connu dans le monde occidental comme étant le « pays de l’or ».

Cipango, pays de l’or

« Sypangu est une isle en Levant qui est en la haulte mer, loings de la terre ferme mille cinq cens milles ; et est moult grandisme isle. Les gens sont blans et de belle maniere. Ilz sont idolastres, et se tiennent par eux ; et si vous dy qu’il ont tant d’or que c’est sans fin ; car ilz le treuvent en leurs isles. Ilz sont pou de marchans qui là voisent, pour ce que c’est si loings de la terre ferme. Si que pour ceste raison leur habonde l’or oultre mesure.

Et vous conteray une grande merveille du palais du seigneur de ceste isle. Sachiez qu’il a un grand palais qui est tous couvers d’or fin, en la maniere comme sont couvertes nos eglises, de plomb ; si que ce vault tant que à paines le pourroit on compter. Et encore tuit li pavement du palais et des chambres sont tuit d’or, de pierres de taille espesse bien deux doie, et les fenestres aussi ; si que cest palais est de si desmesurée richesse que nulz ne le pourroit croire… » *

* Le livre de Marco Polo, chapitre CLVIII

Marco Polo (1254-1324)

C’est en ces termes que le marchand vénitien Marco Polo (1254-1324) décrit le Japon, sous le nom de Cipango ou Sypangu, dans son « Livre des Merveilles » (東方見聞錄 Tôhôkenbunroku en japonais), en 1298, après son long périple sur la route de la soie.

Sans même avoir mis le pied sur l’archipel, uniquement sur la base de ses échanges avec les marchands chinois et arabes rencontrés lors de son voyage en Chine, Marco Polo fait connaître à l’occident l’existence du Japon, un pays insulaire où « l’or abonde outre mesure » avec, entre autres, « ses palais au toit d’or fin et au sol couvert d’or sur deux doigts d’épaisseur ».

Une abondance telle qu’elle attise les convoitises de l’empereur mongol Koubilaï Khan. Marco Polo raconte dans son ouvrage les tentatives d’invasion mongoles du pays de Cipango, suite au refus des japonais de se soumettre à la loi mongole.

La première tentative de 1274 voit les mongols renoncer à l’invasion après de lourdes pertes subies par leurs troupes et l’apparition d’une violente tempête qui endommage sérieusement leur flotte.

Lors de la seconde tentative de 1281, l’armée japonaise, mieux préparée bien que toujours inférieure en nombre, parvient à contenir les forces ennemies. Un puissant typhon, baptisé « Kamikaze » 神風 ou « vent divin », s’abat alors sur la côte nord de l’île de Kyûshû 九州 et détruit la majeure partie de la flotte mongole, précipitant la fin de la seconde et dernière tentative d’invasion des troupes de l’empereur Koubilaï Khan.

Marco Polo répand ainsi en occident la légende du Japon, pays de l’or, si bien que Christophe Colomb, presque deux siècles plus tard, décide de prendre la mer à la conquête de l’archipel de Cipango et de ses richesses. Le 12 octobre 1492, il débarque, finalement, sur les terres d’Amérique.

C’est en 1543 que les premiers européens foulent le sol de la petite île de Tanegashima 種子島, au sud de Kyûshû.

Hiraizumi et le pavillon doré du Konjikidô 金色堂

A l’époque de Marco Polo, le Kinkaku-ji 金閣寺, temple bouddhiste Rokuon-ji 鹿苑寺 de Kyôto 京都市, surnommé le Pavillon d’Or pour ses façades recouvertes de feuilles d’or, n’était pas encore construit et le palais du seigneur, couvert d’or fin, dont fait état Marco Polo dans son ouvrage, est le Temple de Chûson-ji 中尊寺 avec son pavillon doré, le Konjikidô 金色堂, achevé en 1124 dans la province de Mutsu 陸奥国, également appelée province d’Ôshû 奥州, dans la région du Tôhoku 東北地, au nord-est de l’île principale de Honshû 本州.

En jaune, la province d’Ôshû, pays de neige, dirigée par le clan Ôshû Fujiwara 奥州藤原氏

Cette province est alors dirigée par le puissant clan seigneurial des Ôshû Fujiwara 奥州藤原氏, Ôshû Fujiwara-shi, ou la « famille des Fujiwara du Nord », issue d’une branche des Fujiwara de la capitale Kyôto.

Fujiwara no Kiyohira 藤原 清衡 (1056-1128)

Fujiwara no Kiyohira 藤原 清衡 (1056-1128), fils de Fujiwara Tsunekiyo 藤原 経清, quitte la capitale impériale pour rejoindre sa province natale, Ôshû, et s’implanter sur le mont Kanzan 関山, au bourg de Hiraizumi 平泉町 dans la préfecture d’Iwate 岩手県, où il installe son quartier général et fonde la dynastie Ôshû Fujiwara qui dirigera le nord du pays de 1100 à 1189.

Au début du XIIe siècle, afin de consoler les âmes de tous ceux qui périrent au combat, amis ou ennemis, lors des conflits majeurs de la fin du XIe siècle dans la région, Kiyohira entame à Hiraizumi la construction d’un complexe de temples de plus de 40 salles et pagodes avec plus de 300 résidences de moines : le Temple de Chûson-ji. Son souhait le plus profond étant d’apporter la paix à la région en établissant une société paisible et idéale, à l’image de la pensée bouddhique du paradis de « la Terre pure ».

A cette époque, l’or abonde dans les rivières de la province d’Ôshû et Fujiwara offre d’énormes quantités d’or à la cour impériale du Japon et multiplie les échanges avec la dynastie Song 宋朝 qui régnait en Chine de 960 à 1279.

Avec l’exploitation de gisements d’or, la région bénéficie également de l’élevage de chevaux, d’étoffes en abondance et fait partie d’un vaste réseau commercial reliant le nord de Honshû et l’île de Hokkaidô 北海道, fournissant fourrures et kombu 昆布 à tout le pays. La région importe également des produits de luxe du continent voisin, notamment des céramiques chinoises et des flûtes en ivoire.

Alors que le commerce se poursuit avec la Chine, les abondantes réserves d’or et la construction du temple Chûson-ji se transmettent aux oreilles des marchands chinois et arabes du continent, jusqu’à finalement atteindre celles de Marco Polo.

Sous l’impulsion du clan Fujiwara, Hiraizumi devient une fleur de culture 文化の花 et l’une des villes les plus riches de l’archipel au XIIe siècle.

Vingt années ont été nécessaires à Fujiwara no Kiyohira pour achever la construction du temple Chuson-ji et ses différents bâtiments.

Pavillon d’or du Konjikidô

Le magnifique pavillon d’or du Konjikidô est une construction en bois recouverte de feuilles d’or et sertie de nacre venue d’Okinawa. Il est aujourd’hui protégé par une structure de béton, à l’abri des intempéries. La chapelle intérieure comporte 33 statues elles-mêmes finement dorées, dont la principale et la plus imposante est une représentation de Amida Nyorai (Lumière infinie), assis au centre de l’autel et flanqué de Kannon (Boddhisatva de la Compassion) sur la droite et de Seishi (Boddhisatva de la Sagesse) sur la gauche.

La chapelle d’or, richement décorée, représente le summum des techniques artistiques les plus sophistiquées de la fin de l’ère Heian 平安時代 (794-967).

Chapelle intérieure avec ses 33 statues dorées

L’édifice devient plus tard un mausolée abritant, dans un cercueil recouvert de feuilles d’or tressé, la dépouille momifiée de quatre seigneurs de la famille Ôshû Fujiwara, Kiyohira reposant sous l’autel central, son fils Motohira sous l’autel de gauche, son petit-fils Hidehira et son arrière petit-fils Yasuhira tous deux sous l’autel de droite.

Ce mausolée finit par jouer un rôle majeur, suscitant le culte et attirant des fidèles au fur et à mesure du développement de Hiraizumi dans la province de Ôshû.

Le pavillon doré Konjikidô du temple de Chûson-ji devient le reflet de la prospérité de Hiraizumi et fait partie des édifices classés trésors nationaux du Japon en 1897, reclassé sous la même désignation de trésor national, en tant que premier de liste, lors de l’entrée en vigueur de la loi pour la protection des biens culturels, le 9 juin 1951.

Hiraizumi compte plus de 3000 biens culturels nationaux et sites historiques entourés de jardins idylliques.

Le 25 juin 2011, Hiraizumi, ses temples, jardins et sites archéologiques représentant la Terre Pure bouddhiste, sont reconnus d’une valeur universelle exceptionnelle et inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, lors de la 35e session du Comité du patrimoine mondial réuni à Paris, du 19 au 29 juin 2011.

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« 日本 », en japonais, peut aussi bien se lire : Hinomoto, Yamato, Nihon ou Nippon.

Hinomoto, le soleil levant.

Yamato 大和, la grande harmonie.

L’harmonie « Wa, 和 » est un principe fondamental de la culture japonaise tel que défini par le prince Shôtoku Taishi 聖徳太子 (574-622) :

« L’harmonie est le bien le plus précieux »「和をもって尊しとなす」.

Yamato 大和 est d’abord le nom de la province où siégeait la capitale Asuka 明日香, au centre de la préfecture de Nara 奈良県, considérée comme le berceau historique du Japon. C’est là que le premier empereur du Soleil Levant, JINMU 神武天皇 (660 av. J.-C. – 585 av. J.-C.) a créé le Japon, l’année impériale Kôki 皇紀, il y a 2 684 ans cette année.