Kongô Gumi, la plus ancienne entreprise au monde et les entreprises multiséculaires du Japon

L’entreprise de construction Kongô Gumi 株式会社金剛組, basée à Osaka 大阪市, est l’un des principaux groupements d’artisans charpentiers du Japon, les miyadaiku 宮大工, détenteurs d’un savoir-faire très recherché dans la technique d’assemblage du bois, le kigumi 木組み, pour la construction de sanctuaires et de temples.

L’entreprise est fondée par Shigemitsu Kongô 金剛重光 en 578 à l’époque Asuka 飛鳥時代 (Asuka-jidaï), il y a 1445 ans cette année, et est réputée pour être la plus ancienne entreprise du monde encore en activité de nos jours.

En 593, à la demande du prince Shôtoku Taishi 聖徳太子 (574-622), Kongô Gumi se lance dans la construction du temple de Shitennô-ji 四天王寺, à Osaka, 大阪市, premier temple bouddhiste du Japon, plusieurs fois ravagé par des incendies au fil des siècles et toujours reconstruit par Kongô Gumi, à l’image de sa création d’origine.

Temple de Shitennô-ji 四天王寺, à Osaka, 大阪市
Prince Shôtoku Taishi 聖徳太子 (574-622)

Durant ses 1445 années d’activité, Kongô Gumi participe à de nombreuses constructions dont celles du château d’Osaka et du temple de Hôryûji 法隆寺, dans la préfecture de Nara 奈良, devenu en 1993 le premier bien du Japon, reconnu d’une valeur universelle exceptionnelle, à être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Au début des années 2000, Kongô Gumi voit ses revenus baisser et ses actifs transférés en 2006 au groupe de construction Takamatsu 髙松建設株式会社 d’Osaka pour en devenir une filiale, en gardant son nom d’origine.

Kongô Gumi prend un nouveau départ en conservant les techniques millénaires de construction acquises depuis la fondation du groupe, en 578. Les employés, les artisans charpentiers, les maîtres-charpentiers, tous restés fidèles à l’entreprise, perpétuent l’esprit de Kongô Gumi et continuent leurs activités de construction, reconstruction et rénovation en combinant les technologies modernes avec les méthodes traditionnelles.

Avec Kongô Gumi, les cinq plus anciennes entreprises du monde sont toutes japonaises

Après Kongô Gumi, suivent quatre autres entreprises japonaises les plus anciennes au monde toujours en activité.

En second, vient l’auberge thermale Nishiyama Onsen Keiunkan 西山温泉慶雲館, dans la préfecture de Yamanashi 山梨県, au sein de multiples sources d’eau chaude. L’auberge Keiunkan, fondée en 705 par Fujiwara Mahito, tire son nom de l’ère Keiun 慶雲 (704-708). Pendant plus de 1300 ans d’existence, 52 générations de la même famille se sont succédé.

Nishiyama Onsen Keiunkan 西山温泉慶雲館

Sennen no Yu Koman 千年の湯古まん, une autre auberge traditionnelle ou ryokan 旅館, située à Kinosaki 城崎町 dans la préfecture de Hyôgo 兵庫県 est la troisième plus ancienne entreprise au monde. Elle a été fondée en 717 par Gonnokami Yuke 日生下権守 et est transmise depuis plus de 46 générations de la même famille.

Hôshi ryokan, ou Hôshi 法師, autre auberge ou ryokan de sources chaudes, située à Komatsu, 小松市 dans la préfecture d’Ishikawa 石川県, vient en quatrième position. Elle a été fondée en 718, la deuxième année de l’ère Yôrô 養老 et, comme la précédente, a vu 46 générations de la même famille se succéder.

Genda Shigyô 源田紙業株式会社, cinquième plus ancienne entreprise au monde, fondée en 771. Déplacée à Heian 平安 (actuelle Kyôto 京都市) avec le transfert de la capitale impériale, elle est spécialisée dans la conception d’articles de cérémonie en papier, tels le mizuhiki 水引, un art ancien consistant à nouer de fines cordelettes de chanvre teintées de rouge et blanc pour envelopper les offrandes faites à la cour impériale du Japon.

Hôshi ryokan
Sennen no Yu Koman

Au-delà de ce classement, de nombreuses entreprises japonaises multi-centenaires voire millénaires sont répertoriées dans des domaines variés, parmi lesquelles :

  • Tanaka-Iga 田中伊雅仏具, fondée en 885 (biens religieux), Kyôto ;
  • Nakamura Shaji 中村社寺, fondée en 970 (construction de sanctuaires et de temples), préfecture d’Aichi 愛知県 ;
  • Ichimonjiya Wasuke 一文字屋和輔, fondée en en l’an 1000 (confiserie), Kyôto ;
  • Shumiya-Shinbutsuguten 朱宮神仏具店, fondée en 1024 (biens religieux), préfecture de Yamanashi 山梨県, etc.

Principes de fonctionnement des sociétés centenaires

Selon une étude du Research Institute of Centennial Management de Tokyo publiée par The New York Times, le Japon recense plus de 33 000 entreprises centenaires encore en activité, soit 40 % du nombre enregistré dans le monde. Parmi elles, plus de 3 100 dépassent les 200 ans d’existence, 140 ont plus de 500 ans et 19 sont millénaires. Si la plupart de ces entreprises sont de petites PME familiales, d’autres sont mondialement connues, à l’instar de l’entreprise de jeux vidéo Nintendo fondée en 1889 ou encore le fabricant de sauce de soja Kikkoman キッコーマン株式会社, créé en 1917.

« Si vous regardez les manuels d’économie, les entreprises sont censées maximiser leurs profits, augmenter leur taille, leur part de marché et leur taux de croissance. Mais les principes de fonctionnement des sociétés centenaires sont complètement différents, déclare Kenji Matsuoka 松岡憲司, professeur émérite de commerce à l’Université Ryûkoku 龍谷大学 à Kyôto. Leur priorité est de continuer. Chaque génération est comme un coureur dans une course de relais. L’important, c’est de passer le témoin. »

Pour survivre pendant un millénaire, une entreprise ne peut pas se contenter de courir après les profits. Elle doit poursuivre un objectif plus élevé, dans le respect de valeurs fondamentales définies sous le terme « kakun 家訓 » ou préceptes familiaux qui doivent guider les prises de décision commerciales au fil des générations : prendre soin des employés, soutenir la communauté, s’efforcer de développer un produit qui inspire la fierté, faire preuve d’une technicité toujours plus élevée.

Ces entreprises, d’une longévité exceptionnelle, sont souvent caractérisées par une aversion pour le risque et une accumulation de grandes réserves de trésorerie. « Même lorsqu’elles font des profits, elles n’augmentent pas leurs dépenses d’investissement outre mesure », souligne Tomohiro Ôta 太田知宏, analyste à la banque Goldman Sachs.

Un sondage mené auprès d’entreprises en place depuis plus d’un siècle a révélé que plus du quart d’entre elles disposaient de suffisamment de fonds pour fonctionner pendant deux années voire plus.

Cela ne signifie pas pour autant que ces entreprises soient figées dans le temps. Au cours du siècle dernier, la survie a de plus en plus consisté à trouver un équilibre entre la préservation des traditions et l’adaptation aux conditions changeantes du marché.

NBK (Nabeya Bi-tech Kaisha) 鍋屋バイテック, une entreprise de matériaux qui a commencé à fabriquer des bouilloires en fer en 1560, produit maintenant des pièces de machines de haute technologie.
Hosô 細尾, fondée en 1688, est une entreprise textile de la famille Hosô, du temple Honganji 本願寺, à Nishijin 西陣, le quartier des tisserands, de la soie et du kimono de Kyôto. Elle a étendu son activité à l’ameublement et même à l’électronique.

La succession, question capitale

Dans la culture japonaise, les racines traditionnelles fortes et le culte des ancêtres font que la majeure partie des entreprises les plus anciennes sont gérées par la même famille. Pour assurer la pérennité de l’entreprise, la succession revient en général au fils aîné, mais il peut arriver qu’un autre fils jugé plus prédisposé à remplir ce rôle soit désigné.

Si la famille n’a pas d’héritier masculin, une fille peut exceptionnellement prendre les commandes si elle est jugée apte à assurer la succession. Dans la plupart des cas, des dispositions sont prises pour qu’une des filles prenne un mari jugé suffisamment méritant et capable de gérer l’entreprise. Ce dernier, en même temps qu’il devient gendre, est adopté par la famille dont il prend alors le nom pour continuer la lignée.

Au Japon, l’adoption d’un héritier ou yôshi engumi 養子 縁組 est une tradition séculaire déjà en usage à l’époque d’Edo 江戸時代 (1603-1868) et toujours utilisée par les fondateurs d’entreprise qui ne trouvent pas de successeur approprié parmi leur progéniture.

Cette tradition permet également aux entreprises d’assurer une certaine stabilité dans la continuité de leur gestion pendant la crise démographique que l’archipel traverse.

Sources : New York Times