Washoku, la cuisine traditionnelle japonaise : ses bienfaits sur la santé mentale
La dépression est un trouble mental courant qui affecte environ 280 millions de personnes dans le monde.
En raison de son fardeau important pour la société, l’identification d’éléments de protection contre la dépression dans la population active devient une question capitale.
L’alimentation a récemment attiré l’attention en tant que facteur modifiable notable pouvant affecter la santé mentale et des analyses ont révélé qu’une adhésion étroite à des habitudes alimentaires spécifiques, tel le régime méditerranéen dans les populations occidentales, était associé à un risque plus faible de symptômes dépressifs.
Le régime alimentaire japonais fait ainsi l’objet d’une attention croissante en raison de ses bienfaits potentiels pour la santé. Des études japonaises antérieures ont suggéré que les régimes caractérisés par une consommation élevée de poisson, de produits à base de sôja, d’algues, de légumes et de thé vert étaient associés à un degré moindre de symptômes dépressifs. A partir de ce constat, des chercheurs affiliés au Japan Institute for Health Security (JIHS 国立健康危機管理研究機構) ont tenté d’approfondir le lien entre la cuisine traditionnelle japonaise et la santé mentale.
Washoku 和食 : plus qu’une alimentation, une véritable spiritualité au cœur d’une vaste enquête
Reconnu par l’UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2013, la cuisine traditionnelle japonaise washoku repose sur des piliers simples : des produits frais et saisonniers, peu transformés, cuisinés avec modération et servis dans un esprit d’équilibre. Poissons, légumes, sôja, algues, riz blanc, soupe miso, thé vert… La variété et la sobriété sont au cœur de cette alimentation qui valorise l’équilibre et la prévention, dans la gratitude et le respect envers la nature, en cohérence avec la vie sobre et attentive inhérente à la spiritualité japonaise.
Selon l’étude publiée en juin 2025 dans la revue scientifique Psychiatry and Clinical Neurosciences, le washoku ne serait pas seulement un plaisir pour les papilles ou un modèle de longévité mais pourrait également jouer un rôle protecteur contre les troubles dépressifs.
Dans cette vaste enquête, menée de 2018 à 2021, un groupe de chercheurs explore pour la première fois au Japon le lien entre cuisine traditionnelle washoku et santé mentale.
Les chercheurs ont sondé les employés de grandes entreprises japonaises. Parmi les sondés, 12 847 personnes ont répondu à l’enquête (soit un taux de réponse de 76,8%) parmi lesquelles 12 672 ont fourni des données pertinentes pour le bilan de santé. Après exclusion des réponses qui manquaient de précisions sur l’alimentation ou sur les symptômes dépressifs ressentis, 12 499 participants ont finalement été retenus pour l’analyse. L’âge moyen de l’échantillon s’échelonne autour de 42,5 ans, les femmes représentant environ 12,0 % de l’effectif, et 31 % des employés ont été identifiés comme présentant des symptômes dépressifs.
Des scores ont été développés pour un régime alimentaire traditionnel japonais composé de 9 éléments (riz blanc, soupe miso, produits à base de sôja, légumes cuits, champignons, algues, poisson, aliments salés, thé vert) et pour une version modifiée composée de 11 éléments (riz entier ou peu transformé au lieu de riz blanc, notation inversée pour les aliments salés et ajout de fruits, légumes crus, produits laitiers).
Les résultats sont apparus clairement : plus l’alimentation des participants se rapprochait du washoku traditionnel ou modifié (avec ajout de fruits, légumes crus, ou produits laitiers), moins ils étaient susceptibles de présenter de symptômes dépressifs.
Les personnes les plus fidèles au régime traditionnel présentaient jusqu’à 20 % de risque en moins de troubles de l’humeur, après ajustement pour des facteurs comme le tabagisme, le sommeil, l’activité physique ou l’état civil. D’une manière générale, ces personnes étaient plus âgées, avaient un niveau d’éducation plus élevé, une plus grande participation à l’activité physique ainsi qu’une consommation d’alcool moins répandue.
Les bienfaits du washoku pour la santé mentale
Pour expliquer les effets protecteurs des nutriments contenus dans les aliments et les boissons composant le régime alimentaire traditionnel japonais sur la fonction cérébrale, les chercheurs du Japan Institute for Health Security avancent plusieurs hypothèses :
- l’acide folique, abondant dans les algues, les produits à base de sôja et les légumes, synthétise des neurotransmetteurs, comme la sérotonine, la dopamine (souvent surnommée l’hormone du bonheur), et les monoamines, impliqués dans la stabilité de l’humeur et la capacité d’adaptation au stress ;
- les acides gras, abondants dans les poissons gras, présentent des effets anti-inflammatoires et soutiennent la synthèse et la libération de neurotransmetteurs, jouant ainsi un rôle crucial dans le fonctionnement du cerveau ;
- les antioxydants présents dans les légumes verts et jaunes, le thé vert et les aliments fermentés (comme le natto 納豆 et le miso 味噌) réduisent le stress oxydatif ;
- les fibres alimentaires, abondantes dans les algues, les légumes, les produits à base de sôja et les champignons, améliorent la diversité du microbiote intestinal. Or, de nombreuses recherches récentes montrent que l’équilibre de la flore intestinale joue un rôle direct dans la régulation de l’humeur.
De plus, le régime alimentaire japonais est réputé pour sa riche saveur umami うま味, une caractéristique déterminante de sa tradition culinaire. L’umami améliore non seulement le goût, mais peut également favoriser la relaxation en réduisant la fréquence cardiaque et en stimulant l’activité nerveuse parasympathique. Associé à la composition riche en nutriments de la cuisine japonaise, le rôle profond de l’umami peut contribuer à prévenir les symptômes dépressifs pour induire calme et relaxation.
Une réponse durable pour une priorité de santé publique mondiale
Le washoku traditionnel se distingue ainsi par sa variété d’ingrédients et sa sobriété énergétique, avec des portions modérées, peu de sucre, peu de graisses saturées, et une place importante accordée aux légumes, au poisson, et aux aliments fermentés. Cette approche favorise l’équilibre et la prévention, en cohérence avec une hygiène de vie sobre et attentive dans le principe du hara-hachi-bu はらはちぶ, une pratique consistant à manger jusqu’à 80 % de satiété, c’est-à-dire arrêter de manger avant de se sentir rassasié pour maintenir un poids de forme et prévenir l’obésité, et du ichijûsansai 一汁三菜, « un bol de riz, une soupe et 3 accompagnements » qui constitue le menu de base du repas traditionnel japonais.
Au-delà des traitements médicaux, le washoku incarne une hygiène de vie dans la gratitude à la nature et aux personnes qui préparent les repas (« itadakimasu » いただきます, « gochisôsama deshita » ごちそうさまでした). Un antidote discret mais puissant à la morosité de nos sociétés modernes.
« Ce résultat est très encourageant car il soutient l’hypothèse selon laquelle le régime alimentaire japonais est bon pour la santé mentale, a déclaré Haruka Miyake 三宅遥, chercheuse à l’Institut japonais pour la sécurité sanitaire, impliquée dans l’étude. Nous espérons que la promotion d’habitudes alimentaires saines ancrées dans la culture alimentaire japonaise conduira à une nouvelle stratégie de santé publique pour soutenir le bien-être mental ».
Malgré le fait qu’elle se limite au monde du travail, cette vaste recherche ouvre une piste prometteuse. Dans un contexte où la santé mentale est devenue une priorité de santé publique mondiale, revenir à une alimentation plus simple, en prenant le temps de manger, dans le respect du cycle des saisons, en lien avec la nature, pourrait faire partie des réponses durables.
Shokuiku 食育 : l’éducation alimentaire dès le plus jeune âge
Depuis 2005, le Japon a inscrit dans sa politique nationale une approche unique baptisée shokuiku, que l’on peut traduire par « éducation nutritionnelle vivante » ou « éducation à l’alimentation et à la nutrition ». Elle repose sur des principes simples :
- comprendre l’origine des aliments ;
- participer à leur préparation ;
- manger avec attention et gratitude ;
- préserver la tradition culinaire japonaise à travers le washoku.
À l’école, cela se traduit par des ateliers de cuisine, des repas pris en commun, un service effectué par les élèves eux-mêmes, et une forte valorisation du lien entre nourriture, saison, environnement et société.
Le washoku repose sur des fondements diététiques équilibrés mais ne se limite pas à des apports biologiques : il mobilise aussi le goût, la mémoire, les émotions, le lien social. Servir, manger ensemble, remercier la nature sont autant de rituels simples qui structurent émotionnellement l’enfant.
Si les effets positifs du shokuiku sur l’équilibre alimentaire et la prévention de l’obésité infantile sont bien documentés, les études portant spécifiquement sur la santé mentale des jeunes sont encore rares.
Cependant, plusieurs éléments laissent entrevoir un impact psychoprotecteur :
- l’implication dans la préparation des repas développe la motricité, la confiance en soi, la concentration ;
- la régularité et la diversité alimentaire favorisent une stabilité physiologique, bénéfique à l’humeur ;
- le cadre collectif et symbolique du repas développe l’estime de soi, le respect de l’autre, la gratitude, autant de piliers d’un développement affectif sain.
Des chercheurs japonais et internationaux appellent désormais à approfondir l’étude du lien entre éducation alimentaire traditionnelle et santé mentale infantile.
Face aux défis liés à la santé mentale des jeunes, à la déstructuration alimentaire ou à la perte du lien avec l’environnement, le modèle japonais offre des pistes à la fois simples et puissantes. Il ne s’agit pas de copier le washoku, mais d’en retrouver l’essentiel :
- une alimentation équilibrée ;
- un cadre collectif et bienveillant ;
- une éducation du goût et du temps.
Le washoku, transmis dès la petite enfance à travers le programme shokuiku, constitue bien plus qu’un patrimoine culinaire. C’est un outil d’apprentissage, de structuration émotionnelle et de prévention, dont les bienfaits potentiels sur la santé mentale méritent aujourd’hui d’être pleinement explorés.
Un enfant qui apprend à manger avec attention apprend aussi à vivre avec attention.
Sources : Psychiatry and Clinical Neurosciences ; Japan Times ; JICA